jeudi 29 novembre 2007

Un coup de pied de la vie...







Jeudi dernier fut jour de pluie mouillée, jour de tourmente et de larmes contenues : on ne pleure jamais ce qui est vivant.
Jour de mal aux tripes et de solitude absolue.
Comme le dit Houba Hobbes, quand nos enfants sont malades, nous avons tous deux mains gauches.

Ma fille donc, ma mie à moi, ma fleur enceinte était donc très mal.

D'autres souvenirs remontent : coma. On ne peut pas la perfuser. On ne peut pas la transporter. Elle ne peut pas respirer... Et puis la vie se décide à faire un pas en avant.



Donc, aux urgences de Font-Pré, j'attends avec son père. 15 h. Elle est encore à Brignoles. L'hélico ne peut pas décoller dans la purée de pois mouillée qui se décide enfin à tomber du ciel. On attend qu'elle se stabilise. Tout le monde attend.

Autour de nous aussi, on attend. Beaucoup d'enfants. Des mères bien sûr mais aussi des pères. Un personnel bienveillant, attentif, disponible.

Sans cesse les ambulances arrivent et déchargent leur lot de souffrances et d'hébétude. Ambulanciers bruyants, pompiers sérieux ou hilares, tous précis dans leurs gestes méthodiques, sûrs. Un personnel bienveillant, attentif, disponible, derrière la porte coulissante déjà refermée.

16 h 15 Elle part de Brignoles dans une ambulance du SAMU. Dans une heure elle devrait être là. Les enfants pleurent. Les parents discutent. Le personnel va, vient, accompagnant les chariots, les lits si lourds, les fauteuils roulants. Je lis : Le vieux qui lisait des romans d'amour. Un petit livre de Sepulveda. Toujours un livre dans mon sac. Je l'ai déjà lu alors les mots glissent comme s'égrènent les secondes à la pendule.

17 h 30 - ELLE est là. Chagrin de voir aussitôt la paume cyanosée qu'elle tend vers nous. Sous le masque à oxygène son visage est gonflé. Son autre main est posée sur son ventre, protectrice. Elle dit : "Je tiens" et on l'emporte.

18 h 20 - Le médecin du SAMU a le visage grave : gros problème pulmonaire, pas infectieux d'apparence. On prépare des examens : échographie, radio, fibroscopie probablement. "Je réserve mon pronostic. Elle est très faible".

On attend. 18 h 30 - Elle passe. Je peux l'embrasser vite. Ils sont quatre avec elle. "Attendez ici." On attend. J'appelle mon ami et médecin. "Oedème pulmonaire sans doute. Ne t'affole pas. Ta fille est jeune". Je suis en standby, anesthésiée, en attente de tout mon être, de toute ma tête. Je n'essaie même pas de comprendre. Je n'ai pas vraiment peur non plus. Je suis en interface de la réalité.

Plus tard elle repassera, accompagnée de plus de monde, de machines et la porte coulissante se refermera sur un service qui déborde de gens dans les couloirs. Deux clochards hurlent des ordures au personnel qui les prend en charge ce soir comme hier soir, comme demain soir. Bien plus tard, le pneumologue de service viendra : "Infection pulmonaire grave. On a aspiré, débouché, mais elle est très fatiguée. La fibroscopie a provoqué une crise d'asthme sévère mais c'est normal. Elle récupère doucement avec l'oxygène et la perfusion. Le foetus va bien : il n'a pas souffert ni manqué d'oxygène, de ce côté-là tout est normal. On a passé le plus difficile mais on va la garder ici. On ne peut pas la transférer sur Fréjus dans cet état de fatigue. On n'a plus de place en réanimation mais on est à côté et tout le monde veille sur elle." Oui, on pourra la voir, plus tard, quand il y aura moins de monde dans le service.

21 h 30 - Le service est enfin calme. Un infirmier nous fait entrer dans la chambre ouverte où elle repose. Elle est contente, surprise de nous voir encore là. Elle est excitée, elle veut parler. Elle s'épuise. Elle nous montre la radio accrochée : son poumon encombré, son coeur qui a basculé à droite. Elle explique la fibroscopie dont elle a cru mourir à la troisième insertion de la caméra, dit-elle. Elle dit l'échographie du "bébé" qui va bien. Elle tient ma main et sa main a retrouvé un peu de ses couleurs. Elle s'épuise. Nous l'embrassons, notre petite, nous l'embrassons fort. "Pars, maman, pars demain comme tu avais prévu. Quand tu reviendras lundi, j'irai bien."Promis, je pars. Bisous, bisous encore, caresse et nous partons.

Lundi, elle était en pneumologie, enfin dans un lit. La kiné la massait doucement. Dimanche elle avait eu une visite surprise, et tous les jours son fils et son compagnon. Elle a repris confiance. Elle était heureuse de me voir, détendue. Tout le monde a tenu ses promesses. Elle va bien. Elle est chez elle, avec sa famille, son fils, son compagnon.



C'était juste un coup de pied de la vie, pour nous rappeler qu'elle n'est pas un long fleuve tranquille. Que l'amour ne peut pas tout. Que chaque jour compte. Que le bonheur est dans l'instant renouvelé.
















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